C'est pas une histoire d'amour
Les coriaces bulls traceurs de la Zubrowska vivent encore. J'ai le ventre en purée.
On a commencé
fort: Repérés à l'entrée et introduits avec tous les honneurs, une haie
de regards envieux nous accueille dans l'antre encore clairsemée.
Les
premiers accords donnent généralement le la pour la soirée. Celle-ci
sera funky. Je prends mon air le plus froid qui soit. Une sorte de
boxeur soviétique de Rocky IV dont j'ai oublié le nom, la classe en
plus.
Je ne bouge pas le moindre de mes muscles malgré les effets
musicaux très entraînants et ceux non moins entraînants des chicas
lascives. Toutes sur leur 31. Volontairement, je n'en remarque aucune pour
l'instant.
C'est la règle numéro 1.
On se fout au bar et on prend notre premier litron. Combien de verres? 2, on verra ensuite.
Avec
mon pote, on se raconte quelques histoires du bon temps. On se marre
pas mal, mais discrétos. S'agit pas non plus qu'on ait l'air de deux
innocents en goguette.
Au bout d'un moment, 10 minutes? une heure?,
je me retourne: C'est bon, c'est blindé. Des gens partout. Ca danse, ça
se bouscule, ça minaude, ça roucoule déjà pour les plus pressés.
On
se dit à plus tard avec l'autre trublion. Pour ma part j'attends pas
très longtemps. Deux trentenaires roulées impec qui m'accostent de la
plus simple des manières: non, on ne passe pas monsieur.
Très bien,
on va causer alors. Je n'arrive pas à me décider entre la plus affamée,
la blonde, ou la plus réservée et la mieux foutue, la brune. Elles me
disent leur prénom et j'oublie. J'oublie aussi ce qu'elles font dans la
vie. Je crois que je m'emmerde et je gicle. Je vais voir ailleurs.
A
côté c'est irrespirable tant y'a de monde. Je continue de rôder,
superbe et élégant au milieu des agitations simiesques et faussement
heureuses de la foule compressée.
J'en vois une, là-bas dans le
coin. Une qui a l'air de s'être retrouvée ici par hasard, qui garde un
honnête étonnement et une réserve que j'estime élégante face à ces risibles
déferlements d'apprêts et d'apparences. Brune. Grande. Longs cheveux,
yeux marrons et froids, seins impeccables. Dans les 24, 25. Bingo.
Au
moment ou je m'approche de la naïade, je vois R., mon pote, se balader
avec 2 ados à sa suite. Il me fait signe. J'arrive, je suis occupé, je
lui réponds des yeux. Ce qu'il y'a de bien avec R., c'est qu'il
comprend vite. Pas relou. Ca va.
Le premier contact confirme
mes espérances. Elle est froide, répond avec esprit et un léger
sourire qui flaire pas du tout la bécasse de sortie. On s'entend vite.
Je comprends que c'est bon lorsqu'elle me sort que je suis marrant,
qu'elle a envie de danser. Vas-y, que je lui sors, je te rejoins plus
tard. Règle numéro 2.
Je retourne trouver R., Aude et Marianne. Leur
côté working girl acharnée qui n'a du temps que pour le boulot et la
sortie de la semaine me saoule. Je suis navré pour R., mais je
décroche. Hasta luego amigo. On se rappelle demain. Toujours avec les
yeux.
Bon. Que je retrouve ma garce.
Je me pose devant la piste, je
fais rouler mon verre d'une main à l'autre, j'ai le regard haut, la
dégaine d'enfer. Ayé, je l'aperçois. Je la fixe des yeux et j'attends
qu'elle me reconnaisse. Elle se déhanche d'une manière terrible, lève
les bras au ciel et semble entraînée par je ne sais quelle phase
qu'elle se fait. Je bande.
- Tu danses?
- Jamais. On va boire plutôt.
- Mais, heuuu...
- Pas de mais. C'est qui l'homme ici, bordel.
Elle s'esclaffe. Quand je vous disais que c'était bon.
Pas
idiote. C'est même une anthropologue au chomage. Fait des salons pour
payer son loyer. Pourquoi elle pose pas? Je la flatte. Et puis je me
dis que n'importe qui fait des études aujourd'hui, et que n'importe qui est
au chômage. Ca ne prouve rien et rien.
On cause. On se touche
en causant. Gentiment. On se frôle les genoux, se touche des coudes.
Les lèvres à l'oreille. Etc.
4h30. Déjà. N'importe quoi.
C'est pas une histoire d'amour mon gars, ressaisis-toi.
Au
milieu d'une phrase, je sais pas laquelle parce que je ne l'écoute
vraiment plus, je plonge mes yeux dans les siens qui ne me quittent
plus depuis un moment déjà. Je pense très fort à ses seins de manière à
trouver mes dernières motivations capables de m'étourdir et je
l'emballe. A sa manière de me rendre mon baiser, elle était prête. Elle
embrasse superbement. Tourne ses levres lentement, agite sa langue avec
concentration, me fait bouger de ses mains. J'en ferme les yeux de
volupté et ça me replonge à il y'a des années, cette torpeur, ces
délices.
C'est pas une histoire d'amour, mon gars.
Avec tout ce que j'ai bu, je dois aller aux toilettes. Et au moment où je quitte son champ visuel, j'oblique brutalement.
Dehors,
y'à quelques petits cons qui font du bruit. Je cherche distraitement R.
du regard au cas ou.
Et puis je m'en vais, disparaissant comme une cigarette dans la
nuit.