Articulations au sujet des très riches
L'argent rend largement con et les quantités de plastronnades grotesques vues ci ou là dans le club prisé des goinfrés de pognon ne viendront rien arranger à l'affaire, je le crains. De cette aversion pour l'arithmétique stricte des paquets de blé, je ne connais que peu l'origine. Peut-être que j'ai assez vu de gens devenir riches et cons et trop bien estimé les contreparties diverses acquittées en retour pour ne pas avoir aujourd'hui aucun avis éclairé sur la question.
L'argent rend largement con, donc. A moins que ce ne soit la connerie qui remplisse très bien les caisses. J'admets bien évidemment que ces implications n'ont rien d'obligatoire. Que mes amis riches ne s'offusquent pas trop vite et qu'on ne vienne pas me filer un procès au cul pour avoir été riche ou parce que je le redeviendrai un jour. Jour qui viendra assez vite d'ailleurs.
Nonobstant ces faits, je ne suis d'ailleurs même pas d'accord avec Stendhal lorsqu'il préface Lucien Leuwen pour la deuxième fois: L'auteur ne voudrait pour rien au monde vivre sous une démocratie semblable à celle d'Amérique, pour la raison qu'il aime mieux faire la cour à M. le ministre de l'Intérieur qu'à l'épicier du coin de la rue. En 2006, ici ou ailleurs, je ne trouve convenable aucune de ces deux propositions.
Le problème c'est quand on en arrive à soupçonner les chiffres eux-mêmes de ne plus être de bons étalons de mesure. A les sentir petits et misérables devant la déraison. Et si on inventait l'équivalent de l'année-lumière en distance pour désigner ce qui en Dollars ou en Euros relèverait d'un autre espace-temps. Ne riez pas trop vite.
Lorsque Zacharias ancien président du groupe Vinci ou que Forgeard, ancien d'EADS quittent leur entreprise avec leur salaire et quelques millions d'Euros de récompense sous le bras et qu'ils se trouvent jetés en pâture à l'opinion publique c'est assurément révoltant. Révoltant de cynisme et d'opportunisme d'un système qui lynche et recycle aussi vite des pratiques largement admises puis encouragées. L'on peut nous faire ensuite la leçon du capitalisme propre et éthique. A nous, simples mortels condamnés aux arbitrages perpétuels entre vacances au ski ou renouvellement de notre capacité d'endettement.
C'est aussi fort lorsque les plumitifs inféodés à Lagardère ou Dassault viennent nous chanter les romantiques destins des nouveaux sauveurs de l'humanité, les spécimens encore rares mais appellés à vite se développer paraît-il, de la nouvelle race de philantropes. Et qu'ensuite inévitablement et accessoirement, vous réecoutez ce même discours millimêtré un peu partout, jusque dans la bouche de gens généreusement épargnés des plus hautes tranches d'imposition par la grâce d'insondables paradoxes du destin.
Ainsi Bill Gates qui a donné depuis 1999 un peu plus de 30 milliards de dollars à sa fondation caritative.
Ainsi Warren Buffet qui à 75 ans, décide de céder 85% de sa fortune, soit 31 milliards de la même monnaie à cette même fondation. Ce qui devrait quand même lui laisser quelques 5 milliards et quelques solides "amitiés" pour vivre, soit dit en passant et sans vouloir être mesquin. Aucunement.
Et l'on veut nous expliquer que c'est merveilleux. Que c'est l'évolution à la fois du capitalisme et de l'économie du don (Sylvie Kauffmann In. Le Monde, 1er Juillet 2006). Que c'est dans la lignée des Rockfeller, Carnegie ou Morgan, qui ont largement contribué au développement de l'éducation, des arts et de la recherche (La même toujours dans le même numéro). Charmants messieurs et néanmoins esclavagistes notoires connus comme robber barons, barons voleurs.
Et alors? C'est pas bien?
Si si. C'est très bien. Ca permet de revenir fissa à l'ancestrale charité.
La charité biblique. Génialement gérée en plus, comme le fait la fondation Gates, en ne gaspillant qu'une partie tout à fait négligeable en frais de fonctionnement et en assurant un maximum d'efficacité à ses actions. Parfait.
Mon problème c'est que j'ai quelques difficultés sérieuses avec la charité, brebis galeuse que je suis.
D'abord parce qu'elle est orientée et sélective. Qu'elle permet le déversement de torrents d'argent à ne plus savoir quoi en foutre sur les victimes d'un tsunami dans une certaine région du monde mais qu'elle laisse en même temps crever comme des sacs des mômes en afrique. Et que comme l'émotion n'a aucune pauvre chance face au marketing, les pires scénari sur des manipulations à l'émotion sont à redouter.
Ensuite parce que c'est trop de bonne conscience d'un coup pour tous les connards agiles de la soustraction à l'impôt. Impôt qui je le rappelle est censé assurer quelques fonctions non pas caritatives mais redistributives pour un minimum, et d'en faire profiter TOUT le monde.
Et enfin parce que je trouve ces bons sentiments dégoulinants et cette générosité débridée ridicule lorsque elle rend non seulement possible mais actuel le maintien d'une première et d'une deuxième classe sur des trajets aussi anodins qu'une traversée Lausanne-Evian de moins de 30 minutes. Le bon coeur du Seigneur Gates c'est tout le génie perfide du capitalisme. Baisez lui les pieds, manants. Continuez.