Les banques - Première partie
Laid. Tellement pataud aussi. Des bajoues de batracien traqué qui
gonflent à chaque nouvelle inspiration et qui régulièrement laissent
échapper quelques bulles de bave terroriste. Ca sentait
essentiellement l'épinard et le chou laissant apparaître des origines
paysannes confirmée par les cigarettes YSL qu'il déposait
conscencieusement sur le devant du bureau, à côté de la sacoche de
faux-cuir à porter en bandoulière.
Un chic absolu qu'il mariait à ses velours côtelés, couleurs indiscernables.
Sa
grosse l'appelait régulièrement sur son portable. Sonnerie journal de
20 heures, TF1. Et elle lui disait, je l'entendais brailler à l'autre
bout, ne rentre pas tard canard, prends du saucisson y'a mon père qui
est arrivé pour dîner, Kevin est chez sa cousine Kimberley, etc.
Il
opposait un sourire hagard, ne manquant pas de m'associer à sa félicité
béate en me fixant des yeux, me rendait prisonnier complice d'une
insupportable tragédie. Ce mouvement grimaçant était renforcé par
l'immensité de son cou figé par le double gras qui l'entraillait au
chef. Putain de buffle.
L'épreuve se répétait 3 fois par semaine au moins. Revoir ce connard dégoutant me demander "Alors, vous me la signez cette caution personnelle?". Lui opposer toujours le même et têtu refus, poli, en prenant grand soin à jamais ô grand jamais m'énerver.
J'avais
des répits. Des trêves. Il était en vacances à peu-près une semaine sur
2, et je savais aussi qu'avant 9 heures et après 17 heures il ne
m'appellerait pas. Horaires obligent. Sa conscience, à moins qu'il ne
s'agisse de son ineffable cynisme lui interdisait de me casser les
couilles en dehors des heures de bureau. La règle, c'est la règle.
3 ans d'agonie. De traque. De questions saugrenues matin, midi, goûter et soir, vous avez des chèques à me déposer?,
tellement saugrenues qu'elles m'incitèrent par pure réciprocité à
camoufler ces chèques quelques jours rien que pour me persuader que je
pouvais effectivement recevoir des chèques et ne pas aller les déposer
illico, par plaisir s'entend.
Chargé de compte, directeur d'agence,
le Q.I d'une vache sans les trains, la culture d'un échinoderme des
fonds marins. Et la finesse d'un haltérophile bulgare.
C'est
logiquement que j'ai monté un plan pour l'abattre. L'attendre avec une
boite de calissons pour Madame, devant la banque, lui proposer d'aller
s'envoyer une poire, et enfin le raccompagner.
J'avais tout prévu,
m'étais fabriqué des alibis en béton, avait prévenu quelques salopes de
mes connaissances qu'elles tenaient le rôle de leur vie en me servant
d'alibi.
Tout prévu.
Rétrospectivement, c'est une satisfaction de
ne l'avoir pas fait. Le supprimer de quelques pruneaux bien envoyés
aurait donné trop de sens à ce sieur. Le besoin de tragédie et
d'émotions à tout prix colporté par notre société de merde aurait
poussé sa bonniche sous les feux de l'écran- je la vois déjà chez
Fontaine ou Dumas cherchant un nouveau mari en se répandant en pleurs, revoyant les images de son
honnête travailleur assis en short à côté du barbecue et caressant son
labrador, "dylan"-.
Je préfère l'imaginer vivre ENCORE cette vie de banquier.
De chargé de compte minable, pitoyable rouage d'un système calamiteux.
Moloch dérisoire fonctionnarisé à la petite semaine et aux congés payés.