Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le dernier Tango à Paris
23 novembre 2005

Les banques - Première partie

Laid. Tellement pataud aussi. Des bajoues de batracien traqué qui gonflent à chaque nouvelle inspiration et qui régulièrement laissent échapper quelques bulles de bave terroriste. Ca sentait essentiellement l'épinard et le chou laissant apparaître des origines paysannes confirmée par les cigarettes YSL qu'il déposait conscencieusement sur le devant du bureau, à côté de la sacoche de faux-cuir à porter en bandoulière.
Un chic absolu qu'il mariait à ses velours côtelés, couleurs indiscernables.
Sa grosse l'appelait régulièrement sur son portable. Sonnerie journal de 20 heures, TF1. Et elle lui disait, je l'entendais brailler à l'autre bout, ne rentre pas tard canard, prends du saucisson y'a mon père qui est arrivé pour dîner, Kevin est chez sa cousine Kimberley, etc.
Il opposait un sourire hagard, ne manquant pas de m'associer à sa félicité béate en me fixant des yeux, me rendait prisonnier complice d'une insupportable tragédie. Ce mouvement grimaçant était renforcé par l'immensité de son cou figé par le double gras qui l'entraillait au chef. Putain de buffle.
L'épreuve se répétait 3 fois par semaine au moins. Revoir ce connard dégoutant me demander "Alors, vous me la signez cette caution personnelle?". Lui opposer toujours le même et têtu refus, poli, en prenant grand soin à jamais ô grand jamais m'énerver.
J'avais des répits. Des trêves. Il était en vacances à peu-près une semaine sur 2, et je savais aussi qu'avant 9 heures et après 17 heures il ne m'appellerait pas. Horaires obligent. Sa conscience, à moins qu'il ne s'agisse de son ineffable cynisme lui interdisait de me casser les couilles en dehors des heures de bureau. La règle, c'est la règle.
3 ans d'agonie. De traque. De questions saugrenues matin, midi, goûter et soir, vous avez des chèques à me déposer?, tellement saugrenues qu'elles m'incitèrent par pure réciprocité  à camoufler ces chèques quelques jours rien que pour me persuader que je pouvais effectivement recevoir des chèques et ne pas aller les déposer illico, par plaisir s'entend.
Chargé de compte, directeur d'agence, le Q.I d'une vache sans les trains, la culture d'un échinoderme des fonds marins. Et la finesse d'un haltérophile bulgare.
C'est logiquement que j'ai monté un plan pour l'abattre. L'attendre avec une boite de calissons pour Madame, devant la banque, lui proposer d'aller s'envoyer une poire, et enfin le raccompagner.
J'avais tout prévu, m'étais fabriqué des alibis en béton, avait prévenu quelques salopes de mes connaissances qu'elles tenaient le rôle de leur vie en me servant d'alibi.
Tout prévu.
Rétrospectivement, c'est une satisfaction de ne l'avoir pas fait. Le supprimer de quelques pruneaux bien envoyés aurait donné trop de sens à ce sieur. Le besoin de tragédie et d'émotions à tout prix colporté par notre société de merde aurait poussé sa bonniche sous les feux de l'écran- je la vois déjà chez Fontaine ou Dumas cherchant un nouveau mari en se répandant en pleurs, revoyant les images de son honnête travailleur assis en short à côté du barbecue et caressant son labrador, "dylan"-.
Je préfère l'imaginer vivre
ENCORE cette vie de banquier.
De chargé de compte minable, pitoyable rouage d'un système calamiteux.
Moloch dérisoire fonctionnarisé à la petite semaine et aux congés payés.

Publicité
Commentaires
Archives
Publicité
Publicité