Les illusions du dehors
Et faites vite. Je perds mon temps à écouter vos conneries.
Jean Genet, Le Balcon
- De l'éthique! de l'éthique!
Il a l'oeil sémillant et rigolard qui se fixe en un mico-instant, vérifier si je suis toujours d'accord.
Il recherche les traits de mon grand-père. Il renoue des complicités anciennes suspendues dans les creux du temps et m'embarque d'emblée dans ses meilleures affections. Ce n'est pas le grand ministre que je rencontre, c'est l'homme privé qui a abandonné le vouvoiement à sa deuxième phrase et me prend par la manche pour aller déjeuner "en face, rapide."
- De l'éthique! Mais tu te fous de qui alors!
S'il me gourmande d'un ton débonnaire et coloré, il doit s'interrompre chaque fois qu'une personne s'approche hésitante pour le saluer avec grands respects. Il m'en livre juste après une biographie stupéfiante, me brosse en quelques traits des destins extraordinaires. En digressant à gogo, il chahute avec plaisir et dérision l'establishment et tous ses précieux ridicules.
Son parlé de grand florentin de la république qui trucule de phrases rondes et imagées m'empêche complètement d'en place une. Je pèse pas trop lourd.
- De l'éthique...Mais bordel, tu vas arrêter avec ces conneries?
Il me parle d'atomes égarés et de rupture avec les grandes idées collectives. Mon grand-père, encore. L'importance du dedans et le dérisoire de l'organisé. Et puis surtout il y'a le mimétisme: les gens sont cons, séduis-les et ils feront comme toi. Je fais remarquer qu'il n'a absolument pas tort.
Séduire. Séduire par l'exemple et oublier les discours, les vagues de mensonges et les miroirs aux illusions.
Une africaine vient l'embrasser. Superbe, elle a 50 ans de moins que lui et elle est vraiment magnifique, élégante et distinguée. Et non moins hautement sexuelle; elle s'excuse de nous avoir interrompus et s'en retourne à ses affaires, visiblement heureuse d'avoir rencontré M. le Ministre.
L'ancienne maîtresse de tel chef d'Etat, me glisse-t'il alors, ravi et complice.
- Tu sais, je pense à tous ce connards de l'humanitaire, du développement durable. Et j'en ai vus. Ces connards ne sont pas sympathiques et je me demande s'ils ne sont pas pires. Ils viennent, jeunes, cons et habillés de torchons multicolores, nous demander de l'argent. Nous supplier avec des discours impeccables à l'appui, leur bonne morale apposée sur le front, jurant qu'ils rêveraient toujours plutôt que de dormir un jour. Tu parles. On repasse quelques mois plus tard, ils roulent tous dans des bagnoles aussi merveilleuses que leurs nouveaux costards et ont dépensé tout le fric en communication et autres conneries alors que leur "cause" n'a pas évolué d'un ongle. Je ne rigole plus, le bilan est dégoûtant.
Ses grands yeux frappent les espoirs trompés, il se tait maintenant.
On refléchit. Surtout moi.
On reprend un café.
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